Gabriel Pierné (1863-1937)

Henri Constant Gabriel Pierné naquit à Metz le 16 août 1863, dans une famille aisée de musiciens reconnus et respectés. Son père, Eugène Jean-Baptiste Pierné (1827-1898), était ténor et professeur de chant à l’école de musique municipale ; sa mère, Marie-Hortense Souteyrant (1821-1894), était pianiste de talent. Dans de telles conditions, il n’était guère étonnant de voir le jeune garçon embrasser une carrière artistique : à l’image de son futur ami Camille Saint-Saëns, c’est tout naturellement qu’on devait lui poser les mains sur le clavier. Après de premières études prometteuses menées dans sa ville natale, mais brutalement interrompues par la défaite de 1870, c’est au prestigieux Conservatoire de Paris qu’il acheva brillamment sa formation, remportant en quelques années la quasi-totalité des récompenses que pouvait ambitionner un musicien débutant : une première médaille de solfège dans la classe d’Albert Lavignac en 1874, un premier prix de piano chez Antoine Marmontel en 1879, un second accessit d’harmonie chez Émile Durand en 1880, un premier prix de contrepoint et fugue en 1881 dans la classe de Jules Massenet et enfin, en 1882, un premier prix d’orgue dans la classe de César Franck et un second premier grand prix de Rome avec sa cantate Édith sur un livret d’Édouard Guinand. C’est cette dernière distinction qui lui valut l’immense privilège de séjourner en Italie, dans le cadre idéal de la villa Médicis, avec pour seule obligation de perfectionner son art.

À son retour en France, en 1885, Pierné se lança avec acharnement dans le monde musical, menant une double carrière de virtuose et de compositeur dont l’ascension devait bien vite s’avérer fulgurante. Après avoir prit soin de faire découvrir au public l’extraordinaire étendue de ses multiples talents, lors de nombreux concerts à Paris et en province, il chercha à fixer sa situation dans la capitale au début des années 1890. Son mariage et la naissance de son premier enfant n’étaient certes pas étrangers à ce désir de stabilisation. Pleinement conscient de ses nouvelles responsabilités, il décida d’assurer, entre 1890 et 1898, la succession de son ancien maître César Franck au grand orgue Cavaillé-Coll de l’église Sainte-Clotilde, tout en faisant représenter, sur des scènes secondaires, de petits ouvrages aux formes variées, à la musique pleine d’entrain et de charme. De cette époque datent notamment Le Collier de saphirs (1891), Bouton d’or (1892), Le Docteur blanc (1893), La Coupe enchantée (1895), Vendée ! (1897), ou les musiques de scène pour Yanthis de Jean Lorrain (1894), Izeyl d’Armand Silvestre (1894), La Princesse lointaine et La Samaritaine d’Edmond Rostand (1895 et 1897). Il est vrai qu’en digne élève de Jules Massenet, Pierné ne pouvait concevoir sa consécration que par un succès théâtral ; ce sera chose faite le 8 février 1901 par la création sur la scène de l’Opéra-Comique de la comédie-lyrique La Fille de Tabarin. Reconnu par tous comme un membre incontournable de l’école française, les portes des grands théâtres subventionnés lui seront désormais ouvertes : s’y succéderont en un peu plus de trente ans la comédie lyrique On ne badine pas avec l’amour (1910), les ballets Cydalise et Le Chèvre-Pied (1919) et Impressions de music-hall (1925-1927), la comédie lyrique Sophie Arnould (1927), la comédie musicale Fragonard (1934), et les ballets Giration (1934) et Images (1935). Bien loin de s’arrêter à la seule scène, le musicien apporta également sa contribution aux domaines de la musique de chambre, chorale ou symphonique. Citons à titre d’exemple la Sonate pour violon (1901), le Concertstück pour harpe et orchestre (1903), la légende musicale La Croisade des enfants (1905), le mystère Les Enfants à Bethléem (1907), l’oratorio Saint-François d’Assise (1912), le Quintette avec piano (1916), les Variations en ut mineur pour piano (1916), la Sonate pour violoncelle (1919), la suite pour orchestre des Paysages franciscains (1920), le Trio pour piano, violon et violoncelle (1921), la Fantaisie basque pour violon et orchestre (1927), la Sonata da camera pour flûte, violoncelle et piano (1927), le Divertissement sur un thème pastoral pour orchestre (1932), et la suite de valses et cortège-blues Viennoise (1934).

Compositeur remarquable, pianiste virtuose, c’est toutefois pour ses activités de chef d’orchestre que Pierné devait entrer dans l’histoire. Nommé en 1903 assistant aux prestigieux Concerts Colonne, il prit la tête de l’association artistique sept ans plus tard, à la disparition de son illustre fondateur. Jusqu’en 1934, il allait s’y dévoiler comme l’un des plus ardents défenseurs de la création française traditionnelle et d’avant-garde. Son nom reste aujourd’hui encore associé à la découverte d’œuvres aussi fondamentales que L’Oiseau de feu d’Igor Stravinsky (1910), Ibéria de Claude Debussy (1910), Daphnis et Chloé et Tzigane de Maurice Ravel (1911 et 1924), Le Festin de l’araignée d’Albert Roussel (1913), Protée de Darius Milhaud (1920), ou du célèbrissime Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns (première exécution publique, 1922).

Cette position si particulière, au carrefour des courants les plus divers, eut de profondes répercussions sur son métier de compositeur. Si, de par sa formation, Pierné se trouvait profondément attaché à l’écriture académique de la fin du xixe siècle, il sut également se montrer particulièrement attentif et perméable aux évolutions esthétiques dont il était le témoin privilégié. Usant toutefois de ces différents modèles avec un grand discernement, ses principaux atouts étaient sans conteste, associés à un goût très sûr, une maîtrise technique à toute épreuve, une culture encyclopédique et une faculté d’analyse, de compréhension et d’assimilation hors du commun. En résulte une œuvre profondément personnelle, se refusant volontairement à toute école, à toute tentative de classement. Considéré par ses contemporains, après une longue et riche carrière de presque soixante ans, comme l’un des plus importants représentants de l’école française, c’est couvert d’honneur que Pierné s’éteignit en Bretagne le 17 juillet 1937. Le vénérable membre de l’Institut, nommé en 1924 au fauteuil de Théodore Dubois, laissait derrière lui un vaste catalogue dépassant les 150 numéros, de la simple bluette pour voix et piano à la vaste fresque pour chœur, soli et grand orchestre.

Cyril Bongers

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Correspondance romaine


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Pierné, Gabriel, Bongers, Cyril (édition scientifique). Correspondance romaine, Symétrie, 2005, 464 p.