Toshi kurezu (L’Année sans fin) est une suite de cinq pièces pour grand orgue directement inspirées de cinq haïku de Buson (1716–1783), l’un des maîtres les plus réputés de la poésie classique japonaise.
Pour Buson, la vraie poésie ne peut naître que dans une symbiose harmonieuse de soi avec la nature et le monde qui nous entoure. Les quatre premiers haïku, déclinant les saisons et sélectionnés comme source d’inspiration pour cette suite, illustrent clairement ce principe premier. Le défi consistait à évoquer ou refléter musicalement cette symbiose.
Buson était aussi, dès son plus jeune âge, un peintre au talent très apprécié. Il n’est donc pas étonnant que la plupart de ses haïku apparaissent comme des tableaux effleurés du bout de son pinceau, fixant l’instant dans ce qu’il a de plus insaisissable comme il le faisait avec grâce dans ses peintures. Dès lors la transposition sonore de ses haïku suggérant le visuel me semblait pouvoir être naturellement apportée.
Le titre général de cette suite provient directement du dernier haïku que j’ai sélectionné et dans lequel le poète rend explicitement hommage à son illustre prédécesseur Bashô (1644-1694) en déclarant que « sans lui désormais l’année n’aura pas de fin ». Cet hommage lyrique et très émouvant adressé à un confrère disparu n’est pas sans laisser transparaître l’humilité de Buson qui, durant les dernières années de sa vie, insistait auprès de ses élèves sur la nécessité d’étudier les œuvres du passé et de transmettre l’idéal des grands maîtres.
En composant ces pièces, j’ai souhaité à mon tour rendre hommage à plusieurs compositeurs du passé que je considère comme des grands maîtres et qui m’ont transmis l’idéal d’une musique toute empreinte de poésie et de spiritualité à la fois. À commencer par Olivier Messiaen dont Le Banquet céleste m’a montré l’exemple d’une musique au tempo extraordinairement lent ponctué par l’effet « à la goutte d’eau ». Je ne pouvais que m’en souvenir alors que je mettais en musique le deuxième haïku (« Le bruit de la rosée »).
Ensuite Toru Takemitsu, grand compositeur japonais qui, après avoir exploré les ressources techniques et stylistiques de la musique savante occidentale, fut l’un des premiers à proposer une synthèse de celle-ci avec la musique traditionnelle japonaise. Le troisième haïku (« Au son de la flûte ») propose des citations de fragments mélodiques tirés du répertoire des honkyoku, destiné au shakuhachi. L’évocation à l’orgue du son de cet instrument qui requiert un jeu extrêmement expressif pour lequel le souffle et les effets bruitistes sont particulièrement déterminants n’a pu être que limitée. Mais puisque cette pièce propose un emprunt tout à fait direct à la tradition japonaise, je l‘ai choisie pour honorer la mémoire de Takemitsu.
La plupart des autres pièces veulent toutefois évoquer aussi, par leur couleur, une ambiance japonaise. L’écriture mélodique est largement basée sur les modes traditionnels japonais et tout particulièrement sur l’échelle in qui s’est développée à l’époque d’Edo. La deuxième pièce évoque le gagaku, en autre, par l’utilisation des harmonies du shô.
Enfin le dernier haïku se présente comme une sorte de métaphore de l’hommage que Buson rend à Bashô. En juillet 2004, j’ai été très touché par la disparition prématurée de Jean-Louis Florentz qui, après Olivier Messiaen, a apporté un souffle nouveau particulièrement remarquable à la littérature pour orgue. La seconde partie de mon dernier haïku constitue une réponse à l’envoi final de son œuvre La Croix du sud. C’est ainsi que j’ai souhaité rendre hommage à ce compositeur, véritable musicien-poète qu’était Jean-Louis Florentz.
Commande du Tokorozawa Civic Cultural Centre MUSE