Ayant beaucoup joué en concert les Valses à quatre mains de Marie Jaëll et convaincus de leur valeur, nous avons senti la nécessité d’en préparer une nouvelle édition.
Celle-ci se base non seulement sur les trois éditions d’époque (Leuckart, Berlin ; Gérard, Paris ; Ricordi, Milan) parues en 1877 et toutes épuisées depuis des décennies, mais aussi sur le manuscrit non autographe des valses annoté par Franz Liszt ainsi que sur les feuilles de variantes que ce dernier lui adjoint.
Pourquoi est-il question de Liszt dans ce contexte ?
En 1876, Alfred Jaëll envoie à Liszt, à l’insu de son épouse Marie, le manuscrit d’un cycle de valses à quatre mains composées par elle. Il demande au Maître si ces valses lui semblent dignes d’intérêt car il voudrait « faire la surprise à (sa) femme de les faire publier […] entre autres en Allemagne comme chaque valse est munie d’une petite poésie de Marie. » Liszt répond en ces termes à Jaëll : « Sous formes de Valses et Ländler, Madame Jaëll a composé un collier de fines perles musicales. Les épigraphes sont aussi ingénieusement assorties. Veuillez bien dire à Madame Jaëll mes sincères louanges […] de ce charmant bijou. »
De la correspondance échangée ensuite entre Liszt et les époux Jaëll, il ressort que le Maître prend très au sérieux la demande d’Alfred, endossant même le rôle de professeur face à sa jeune consœur puisqu’il lui soumet de nombreuses corrections et variantes.
En novembre 1876, Liszt précise dans une nouvelle lettre : « En vous envoyant les annotations de votre charmante œuvre, je craignais bien de manquer au précepte connu : “surtout pas trop de zèle”. Il va sans dire que ces annotations n’avaient d’autre but que de vous témoigner ma sincère affection. Si quelques-unes vous paraissent convenables, tant mieux : rejetez les autres sans façon quelconque, selon votre bon plaisir qui sera toujours le meilleur. »
Marie Jaëll n’a pas retenu la totalité mais néanmoins un grand nombre des variantes et suggestions de Liszt. Il est fascinant de voir comme le style tardif du Maître, avec ses fins ouvertes et ses sonorités impressionnistes, se fond admirablement dans l’œuvre de sa jeune collègue. Soulignons donc que ces variantes et suggestions font partie intégrante du cycle tel qu’édité en 1877, tel qu’il a été créé par les époux Jaëll dans la salle Érard à Paris en mars de la même année et tel qu’il est réédité dans ce présent cahier.