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« Quand l’incolore s’illumine de teintes éphémères »

(Jeu de clés IV)

Forme d’hommage à mon père, cette œuvre est directement inspirée par l’une de ses créations visuelles, celle-là même qui illustre la page de couverture.
Ces créations, qu’il avait élaborées en amateur, sont basées sur une application connue du phénomène de polarisation chromatique de la lumière, notion qui le fascinait depuis sa jeunesse.
Il les avait lui-même fixées par la photographie.

Comment ne pas reprendre alors, comme titre à ma création musicale, l’expression si poétique qu’il avait lui-même trouvée pour les présenter ?

Je ne pouvais, en l’occurrence, qu’être interpellée par cette série de neuf photographies (sa création la plus élaborée, réalisée en 1997), représentant un vitrail avec, comme motif central, l’entrelacement des clés de fa et de sol.
C’est grâce à la propriété biréfringente des diverses feuilles de cellophane claire (incolore), composant puis recouvrant le vitrail, et disposées de manière scientifiquement calculée, qu’apparaissent les teintes de base, leurs complémentaires, une multitude de variantes et subtiles mutations de coloris.

À l’image du vitrail, la partition de mon œuvre tire son originalité de la superposition permanente, sur portée unique, des clés de fa et de sol.

Tenter de concilier un maximum d’imagination au sein de la contrainte qu’implique ce type de notation, et respect d’une esthétique de caractère légèrement mystique,
a représenté une véritable quête, s’étendant sur une longue période créatrice, durant laquelle je fus également guidée par la pensée du philosophe Gaston Bachelard.

Caractéristiques visuelles et discours pianistique trouvant une forme de correspondance, la projection de ces photographies lors de l’interprétation publique, tout en restant bien-sûr facultative, apporte une dimension supplémentaire à mon œuvre musicale. C’est pourquoi, à titre de suggestion et point de repère, une numérotation alphabétique – de A à I – qui reprend l’ordre de leur présentation sur la page de couverture, se trouve au sein de la version initiale de ma partition, au-dessus des portées.

Le matériau va d’une cellule mélodique de trois notes distantes d’un intervalle de 13e, jusqu’à l’agrégat présentant le total chromatique, en passant par des harmonies traditionnelles, dont nombre d’entre elles sont constituées d’intervalles de triton (mon intervalle harmonique de prédilection) bien distincts.

Échappant à tous les enchaînements hyper-intellectualisés (riches en changements de couleurs et pour lesquels les choix des altérations des notes jouent un rôle important),
s’est soudainement imposé à moi un fragment presque improvisé, juxtaposant de manière saisissante, la cellule de trois notes et l’agrégat le plus sombre qui aboutit au total chromatique.
Sorte de marche funèbre : nécessité de rendre hommage à la mère de mon père…
Puis, lors de l’ultime section, je tente de suggérer, par un discours qui va en se raréfiant (les teintes du vitrail s’estompent, s’homogénéisent alors), les derniers moments de l’existence de mon père,
en l’accompagnant d’une citation extraite de son ultime livre de chevet, « La Flamme d’une Chandelle » de G. Bachelard, ces quelques mots qu’il venait lui-même de recopier : « Et la flamme meurt bien ; elle meurt en s’endormant ».

Madeleine Caillasse

Récompenses obtenues :

2e Prix au Concours International de Musique 2022
Academia Musica Wien, janvier 2023

IBLA Grand Prize 2022 : Attestation “Most distinguished Musician”