En composant Le jour naissait à peine… j’eus l’idée de recréer sur le modèle de Monteverdi un « concerto de madrigaux », et de juxtaposer, comme dans son Septième Livre (je pense notamment au « Con che soavità »), trois chœurs, en l ‘occurrence un 1er exclusivement féminin, le 2e masculin, le 3e mixte. Et puis, à l’instar du compositeur italien, ce dispositif me permit de jouer naturellement sur des combinaisons de registres et timbres très variés, mais aussi de faire circuler et rebondir les voix à travers les divers espaces qui leur sont dévolus. Car je souhaitais insuffler la dynamique et l’expressivité d’un texte oscillant continûment entre réalité et rêve métaphysique. Approcher et transférer par l’intermédiaire des voix dans tous leurs états l’étrange beauté du triptyque de Florence Delay où se confondent à dessein les parterres de fleurs – quasi tangibles, odorants – et les fugaces jardins de paradis, tel fut mon principal but.
A côté de cette spatialisation, je personnalisai chaque ensemble en lui confiant des rythmes, tropes et sonorités spécifiques, des « transcriptions » anglaises par exemple pour le chœur mixte, ou italiennes (d’après Pétrarque) pour le chœur féminin, etc., espérant ainsi éclairer les multiples perspectives du poème. Je voulais que des voix comme venues d’ailleurs (Wie aus der Ferne, aurait dit Schœnberg), voix d’un autre monde où se mêlent nos utopies, nos croyances et nos fantasmes (?), que ces voix répondissent à d’autres plus proches, plus familières… Toutes tendues et finalement neutralisées dans un univers apaisé, les voix se superposeront en 2 groupes de 3 quintes, notamment lorsque sera évoqué le chant de la petite fille…
Le « concerto » se fait donc passage d’un ensemble à l’autre, d’une langue à l’autre, d’un affect à l’autre, d’un univers à l’autre. De son côté, le cor solo assume le plus souvent le passage d’une étape à l’autre, dans un temps qui défie parfois sa linéarité. La récurrence de motifs littéraires (Delay en miroir de Pétrarque) ou musicaux (en particulier ce Wanderer schubertien émanant de la sonate D. 959), déjoue toute chronologie dans ces jardins où errent en silence ceux qui nous ont quittés, ces absents qui sont pourtant là, trop intensément là, comme l’écrit François Cheng. Héros d’un passé écrasant, artistes entrés dans un panthéon tout à la fois sidérant et de marbre, géniteurs ou proches parents aux souvenirs enjôleurs, ces absents se font attendrissants, mais aussi parfois accablants…
Commande du chœur Britten, 2012