Sagesse

monodies tirées du recueil de Verlaine


(édition scientifique)

arrangement de
Jean-Yves Aizic

Découvert récemment, le cycle Sagesse de Reynaldo Hahn, inspiré par le recueil de Verlaine, s’inscrit parmi les œuvres composées durant sa relation amoureuse avec Marcel Proust, entre 1894 et 1896. Il en amorce la conception au printemps 1895, alors qu’il s’enfonce dans un épisode mélancolique dont nous ignorons la cause. Proust n’y est apparemment pour rien, puisque Hahn – qui séjourne en juillet à Saint-Germain-en-Laye, où il est venu « noyer dans l’air vivifiant et pur de gros ennuis moraux » – écrit à son ami le pianiste Édouard Risler  : « Les seules distractions ici sont les fréquentes visites de ce cher garçon, dont la douceur et l’intelligence sont vraiment réparatrices. »

Le compositeur tâche cependant de faire avancer les partitions en cours et travaille à la fois à des images musicales pour orchestre, inspirées par le roman de Maurice Barrès Le Jardin de Bérénice, ainsi qu’à des « Monodies tirées du recueil de Verlaine ». Ces dernières sont alors envisagées comme « une très longue série de mélodies sur Sagesse », un ensemble de vaste proportion où « le livre […] aurait en somme été contenu tout entier ». De cet ouvrage – dans lequel le poète affirme sa repentance et son retour à la foi catholique à la suite de sa dramatique altercation avec Rimbaud –, seuls quatre poèmes seront finalement mis en musique.

Pourquoi ces poèmes vocaux, qu’il a conservés soigneusement et même retravaillés, ont-ils été laissés en l’état  ? Probablement parce qu’ils étaient trop associés à Marcel Proust, trop évocateurs d’un ancien amour et d’un temps disparu qu’il souhaitait maintenir à distance. Il en fut de même d’ailleurs de toutes les partitions en cours d’élaboration au moment de sa séparation avec l’écrivain, en août 1896 : Le Jardin de Bérénice et le Trio pour violon, violoncelle et piano. Ces pages furent oubliées, qui dans Sagesse faisaient entendre un Verlaine sombre et étaient fort éloignées du style enveloppant des Chansons grises ou de nombre de mélodies du Premier recueil. Le ton se voulait ici plus grave, plus discordant, à la mesure des textes retenus.

La première « monodie » du cycle, « … Sagesse humaine… », utilise les quatre dernières strophes de « Qu’en dis-tu, voyageur, des pays et des gares », où le poète fait le constat du « mal » qu’il a fait et espère « la grâce de Dieu ». Il s’agit d’un « récit mesuré » en fa majeur, de caractère religieux, épousant le recto tono ou une ligne vocale conjointe et une harmonie apaisée ; cette méditation étant percée par le grand intervalle vocal par lequel s’engage le vers « Bien de n’être pas dupe en ce monde d’une heure », suivi d’un assombris­sement tonal. La seconde, « Les chères mains qui furent miennes… », sur de courts octosyllabes, épouse la morphologie d’une danse à trois temps, avec une diction rapide à la voix accompagnée d’accords brefs à l’harmonie mobile. Les mains, tout autant instruments du péché que médiatrices de la figure de la croix dans la bénédiction, y apparaissent dans leur versatilité. C’est au contraire une immobilité toute marmoréenne (exprimée par un premier accord en appogiature puis un second faisant retard au-dessus de notes graves du clavier) qui se répand dans « Un grand sommeil noir… ». Prononcé « comme en rêve – les yeux mi-clos », le texte de Verlaine y fait se rejoindre au-delà de la temporalité humaine le « berceau » et le « caveau ». La dernière pièce, « La tristesse, la langueur du corps humain », demeurée inachevée, est à la fois le plus douloureuse et la plus lyrique. Ses harmonies chromatiques, ses modulations, ses accords de septièmes diminuées lui confèrent un caractère pathétique, à l’image du « triste corps » dépeint par le poète.

Philippe Blay

Sommaire

  • Préfacei
  • Sagesse humaine1
  • Les chères mains qui furent miennes6
  • Un grand sommeil noir10
  • La tristesse, la langueur du corps humain12
  • Notes critiques17
  • Variantes, corrections et remarques18