Soliloques

sept pièces pour piano

Soliloque, qu’est-ce à dire ? Parler tout seul est un leurre. Même au double que l’on promène partout avec soi (et pour l’éternité, hélas), les mots disent trop, et jamais assez ; leur pouvoir de réflexion s’annule de rencontrer des fragments de miroir, ce bris de la conscience qui n’a résisté à tous les assauts du dehors que pour céder au tenace ennemi intime. Mais chanter tout seul a du sens. On le voit faire, par exemple, à des enfants que leur propre voix réconforte et rassure au-devant de douleurs et de désarrois plus vastes que leur âge. Le chant – c’est sa grâce – est toujours pur, libre d’images, absous de pensées, qu’il soit cri ou murmure. S’il livre un état d’âme, il n’en dénombre pas les circonstances ; c’est peut-être la seule « communication » valable, qui n’envahit pas autrui, laisse au rebut l’anecdote, et dans le lit du fleuve Temps les vains scrupules (c’est-à-dire les cailloux) du quotidien.

In solitudine cordis et secreto silentii, pour reprendre les termes de saint Bernard. Cependant le silence a-t-il encore son secret, et le cœur sa solitude, si l’une et l’autre se traduit par des mots sur une page, et même par des notes sur une portée ? Voilà ce chant apprivoisé, claquemuré, converti en signes, devenu écriture. Or on n’écrit jamais pour soi seul, et qui le prétend, solitude ou pas, trompe son monde. Reste, pour le laps qu’il aura duré, la valeur spirituelle de l’exercice (ici je songe à Ignace, un saint qui m’est plus proche encore), son bénéfice au sein de nos vies dévorées par le bruit et le remuement.

Contes, Soliloques, Exercices : ces trois cahiers, dispersés sur une dizaine d’années, m’ont paru former une sorte de trilogie « morale », et c’est pourquoi je les publie ensemble. Mais les vingt et une pièces qu’ils renferment ont leurs pareilles un peu partout dans ma musique : dans un prélude, une chanson enfantine, un mouvement de sonatine ou de sérénade… C’est affaire de style, encore plus que d’humeur. Je me reconnais dans ce langage qui repousse l’éclat des ­timbres et le brio des figures, et qui n’interroge l’instrument que pour entendre une réponse fraternelle, –  et consolatrice.

Guy Sacre