C’est à Palavas-les-Flots, au bord de la Méditerranée, que Joseph Kosma écrit cette sonate pour piano, pour son épouse Lilli, concertiste de grand talent et admirable conseillère musicale.
Ils n’y séjournent pas pour les vacances ! C’est l’exode qui les a conduits, en juin 1940, comme des épaves. Ils partent à pied de Paris, puis grâce à des moyens de fortune, ils finissent par gagner Ozenx dans le Béarn où ils sont choyés par les habitants – Kosma écrit pour les remercier une petite suite pour piano Les Esquisses béarnaises, éditée par les éditions Henn à Genève. Ils obtiennent ensuite une autorisation de séjourner à Palavas où cette sonate voit le jour.
Kosma est juif hongrois. Son épouse Lilli, juive par son père et française par sa mère, marquise de Dieulefit, est en danger. Les juifs ne peuvent ni faire jouer leurs œuvres, ni toucher leurs droits d’auteur. En écrivant cette œuvre et d’autres à la même période, Kosma constitue à Lilli un répertoire de pianiste, mais ne peut ignorer le risque d’une arrestation ; il prend la précaution de faire transférer ses droits à la S.U.I.Z.A., la Société des droits d’auteur suisse.
Après avoir effectué ses études musicales en Hongrie, Kosma y a poursuivi une première carrière, où il a écrit des ballets, du théâtre musical, des musiques de scène, notamment pour Shakespeare, Strindberg, Kaiser, Wiedkind. Vient ensuite une deuxième carrière à Berlin, où il compose des œuvres pour piano, de la musique chorale et surtout où il collabore avec l’écrivain allemand Theodor Plivier. De cette collaboration naissent Das lied wom meer (Les Chants de la mer) et une œuvre de théâtre musical Des Kaiser Kulis (traduit par Kosma Les Galériens du Kaiser) jouée à Amsterdam en 1938 et dont il ne reste malheureusement qu’un extrait d’une remarquable puissance dramatique, Les Soutiers.
La Sonate 1940, écrite lorsque Kosma a trente-cinq ans, est annoncée à la publication au verso des Esquisses béarnaises en 1941 avec plusieurs autres œuvres (à venir), mais ne sera pas éditée alors que les autres le seront ; on peut supposer qu’une sonate a été jugée peu vendable par son éditeur, surtout en ces années d’après-guerre.
En 1967, la Sonate 1940 a été donnée en concert au conservatoire de Genève, ce qui montre qu’à la fin de sa vie, Kosma ne la considérait pas négligeable…
Cette sonate, très courte, respecte la forme classique : un premier mouvement d’écriture assez complexe aux deux thèmes obligés, un minuscule deuxième mouvement davantage un intermezzo gracieux que mouvement central, et un troisième mouvement où angoisse et drame sont plus sensibles.
Il s’agit en fait d’une œuvre lumineuse, alors que son titre 1940, laisserait supposer une pièce dramatique. Le langage est tonal, mais avec quelques dissonances crues dans le dernier mouvement.
Après 1945, Kosma reprend une grande activité : chansons (dont les fameuses Feuilles mortes, Barbara, Si tu l’imagines), mélodies sur des poèmes de Tristan Tzara, ballets, nombreuses musiques de cinéma, plusieurs cantates, trois opéras, musique symphonique, musique de chambre…
Gérard Pellier, archiviste de l’association Les Amis de Joseph Kosma