Le texte du Victimæ paschali laudes serait probablement l’œuvre de Wipo de Bourgogne, auteur du xie siècle. Cette séquence liturgique a inspiré de nombreux compositeurs, en particulier aux xvie et xviie siècles, notamment Giovanni Pierluigi da Palestrina, Roland de Lassus ou William Byrd.
Pour mettre en avant la dramaturgie du texte, j’ai choisi d’engager ma propre lecture jusque dans l’élaboration du matériau musical ; ce dernier fait ainsi résonner cette séquence comme s’il s’agissait d’une épopée. J’ai souhaité cependant conserver l’aspect ecclésiastique, spécialement le chant grégorien ou du moins sa morphologie, présente en filigrane à de nombreux endroits. L’écriture alterne en permanence des parties chantées et des parties à hauteurs non fixées : chuchotées, criées, ou simplement déclamées. La pièce est divisée en trois parties bien identifiables, trois scènes qui mettent chacune en lumière un dialogue entre des personnages bibliques ou allégoriques.
La première scène (de « Victimæ » à « Regnat vivus ») rend compte du combat entre la vie et la mort. Un ostinato massif et lancinant accompagne toute cette première partie sur les mots « Victimæ paschali laudes ». Chuchotés, déclamés et criés tour à tour, en décalage permanent entre les huit voix, ces mots ne sont entendus de manière intelligible que très rarement : d’abord lorsque les voix s’effacent peu à peu, puis en conclusion, lorsque des hauteurs apparaissent et que les voix se synchronisent. Une première antiphonie s’extirpe et oppose les voix d’hommes aux voix de femmes pour symboliser le duel allégorique de la vie et de la mort avant d’être finalement absorbée par l’ostinato victorieux.
La deuxième partie (de « Dic nobis » à « Gallileam ») évoque le dialogue entre la Vierge Marie et les chrétiens et donne lieu à une deuxième antiphonie entre les voix sopranes et les autres. Ces voix aiguës apparaissent d’abord lointaines et voilées, submergées par les vives interrogations de ces chrétiens en quête de réponses. Tout comme celui des sirènes, ce chant virginal devient de plus en plus présent
et envoutant, comme pris dans un halo céleste. Bouleversés et incrédules, incarnés par un matériau musical grave et vibrant, les chrétiens acceptent finalement la résurrection du Christ.
Après cette dure mise à l’épreuve divine de la foi chrétienne, la joie de l’acceptation est grande et forte. Pour la renforcer, j’ai choisi d’insérer un alléluia avant l’ultime litanie (de « Scimus Christum » à « Amen »). Cet alléluia est d’abord déclamé sans les consonnes par les voix d’homme ; le chant commence ainsi par des variations de timbre, avant de faire entendre distinctement le mot « alléluia », qui résonne désormais comme une grande célébration. Une dernière antiphonie apparaît, symbolisée par des échanges entre une polyphonie dense, évoquant les cris de joie de la foule des croyants, et une homorythmie qui suggère l’unification de cette foi retrouvée et exaltée sur les mots « alléluia » et « Amen ».
Je dédie tout naturellement cet ouvrage à l’ensemble Alkymia et à sa directrice musicale Mariana Delgadillo Espinoza, avec qui les échanges sont toujours réjouissants et enrichissants.
Bertrand Plé