Après la perte de sa fille Clara et de son fils William, Percy B. Shelley, « ce météore rattrapé par la mort », s’embarqua sur son petit yacht, « l’Ariel », et sombra en 1821. On retrouva son corps sur une plage de Viareggio avec dans ses poches un volume de John Keats et un autre de Sophocle.
Reprenant quelques-unes des cinquante-cinq strophes de son Adonaïs, une élégie sur la mort de Keats, mon épitaphe (au titre éponyme), tombeau ou déploration, thrène, planh ou Klaglied, blues, fado ou segmiriya, joue sur le souvenir, celui de Charles S., un enfant disparu prématurément, mais aussi sur celui d’anciens fragments qui éclairent par intermittence la poétique réactualisée de Shelley. C’est ainsi qu’un motif de trois sons rappelle le significatif Lasciatemi morire de Monteverdi, qu’une esquisse mélodique révèle les énigmatiques empreintes d’un prélude de Bach, que des accents iambiques se calquent sur la métrique originale du poète anglais, ce « virtuose du rythme », que des bruissements aériens sur les instruments à cordes répondent aux murmures de la chanteuse quand une brise basse toute proche épouse les appels d’Adonaïs (« the low wind whispers near », str. LIII). Un Adonaïs, réveillé du songe de la vie (« awakened from the dream of life », str. XXXIX), qui ne fait plus qu’un avec la nature (« He is made one with Nature », str. XLII).
Traducteur inlassable des anciens Grecs, Shelley avait annoté son manuscrit avec exergue (en grec) de Platon ou Sophocle (str. LIV), d’Horace ou Ovide (str. XXIV). Et, convoquant ici et là les figures d’Écho ou Actéon, d’Apollon ou Uranie mais aussi l’air et la rosée, le tonnerre et la beauté nue de la nature (« Nature’s naked loveliness », str. XXXI), son œuvre fait surgir d’autres temps, d’autres espaces, aspire ainsi à l’universalité. Par delà ces vestiges mythiques, le souffle de la Nature se fait musique, des bribes de souvenirs engloutis refont surface et au gré de sonorités et rythmes singuliers peut alors s’esquisser la « communication des âmes » dont parlait Marcel Proust.
Commande du Festival international de quatuors à cordes du Lubéron et de Hélène et Thierry Salmona.