Premier cycle de mélodies françaises consacré aux Poèmes saturniens de Verlaine, les Paysages tristes de Charles Bordes constituent une tentative remarquable de mise en pratique de la forme cyclique adaptée au répertoire vocal. En la matière, l’œuvre est à rapprocher – stylistiquement et chronologiquement – de la Sonate pour violon de César Franck, avec qui Bordes prenait alors des cours de composition.
L’unité du cahier repose en grande partie sur l’usage de thèmes musicaux récurrents et sur l’importance particulière donnée à l’intervalle de tierce majeure tout au long du cycle, que l’on discerne en particulier dans le plan tonal original de l’œuvre. Dans ce cahier construit en forme d’arche, la dernière mélodie rassemble de nombreux éléments entendus précédemment – elle cite notamment de façon évidente le postlude et le thème pianistique central de la première.
Mais le talent de Bordes ne se réduit pas à la réalisation d’une expérience formelle. Toute l’ambiance du cycle traduit en effet de manière saisissante l’atmosphère lourde, maladive, crépusculaire des poèmes de Verlaine. Le compositeur explore cet accablement dans un univers musical empreint de chromatisme et de lenteur, sans toutefois renoncer à de furtives envolées vocales ou pianistiques où se traduit tout le lyrisme de son tempérament.
Soleils couchants est édité chez Hamelle en 1885, dans un cahier de Trois Mélodies pour voix de ténor consacré à Paul Verlaine, mais aussi à François Coppée et Maurice Bouchor. On y découvre la première version de la pièce, que Bordes remanie un an plus tard pour la placer en tête des Paysages tristes. Le nombre important de variantes entre ces deux versions témoigne du projet de constituer un cycle cohérent sur le plan formel à partir des quatre poèmes saturniens.
Les Paysages tristes paraissent en 1902 à l’Édition mutuelle à l’initiative de Bordes lui-même. Dans cette publication qui date des débuts de cette entreprise collaborative d’édition, quelques imprécisions et maladresses de gravure se sont glissées, probablement à mettre au compte d’un manque de moyens financiers et humains. La première édition posthume, datée de 1912, permet de corriger en grande partie ces imprécisions et d’apporter quelques modifications de détail qui seront reprises par Pierre de Bréville dans sa révision pour le volume posthume des Quatorze Mélodies de Bordes publié en 1921 chez Hamelle.
La présente édition s’appuie en grande partie sur le travail mené par Bréville et procède à quelques corrections nouvelles, ainsi qu’à de rares retours à la version de 1902, qui sont signalés à la fin de ce cahier.
Extraits sonores
Un enregistrement sur disque compact des Mélodies de Charles Bordes est disponible sous le label Timpani