L’instrumentation des œuvres faisant l’objet du présent enregistrement est un des exemples manifestes de l’inventivité dont fait preuve Toch. La Flûte chinoise op. 29, composée en 1922 pour quatorze instruments solistes et soprano, sur la traduction éponyme publiée en 1907 par Hans Bethge de poèmes chinois du xiie au viie siècle avant notre ère. Ces mêmes traductions inspirèrent dans la première moitié du xxe siècle environ 180 compositeurs, à commencer par Le Chant de la Terre de Gustav Mahler, en passant par Arnold Schoenberg, Anton Webern, Walter Braunfels, Karol Szymanowsky, voire Pavel Haas à Terezin.
Bethge expliquait à propos de ses traductions qu’il « ne s’agissait pas de transposer un poème mot à mot, mais d’en faire renaître dans une langue étrangère l’esprit, le style et la mélodie ». On pourrait définir de la même manière l’approche de Toch lorsqu’il met en musique les trois textes sur lesquels son choix s’est arrêté : point de chinoiserie ou d’orientalisme factice, mais le souci de restituer une atmosphère suggérée par l’apparente simplicité des poèmes. La voix est souvent a cappella, les instruments qui l’accompagnent raréfiés – sauf dans le poème Le Rat d’après Sao-Han, ou le tutti d’ensemble accompagne la furie qui se dégage du texte – les percussions jouent un rôle coloristique prépondérant.
La même inventivité instrumentale – flûte/piccolo, clarinette, violon, alto, contrebasse et percussions – de la Suite de danses op. 30, composée un an après La Flûte chinoise, nous rappelle combien la création artistique de la République de Weimar était placée sous le signe de l’expérimentation. L’œuvre accompagne le poème dansé La Forêt de Frieda Ursula Back, élève de Mary Wigman, et professeur de danse contemporaine au conservatoire de Mannheim où Toch enseignait lui-même depuis 1912. Toch écrit une partition répondant aux exigences d’un public mélomane et ouvert sur la modernité tout en étant accessible à des oreilles moins cultivées, où se mêlent les effets les plus immédiats – comme le montre l’indication « comme une musique de foire » dans le premier mouvement de la Suite, et l’atmosphère mystérieuse du sixième mouvement, obtenue par l’alternance du jeu sur le chevalet et sur la touche entre le violon et l’alto.
Lors de l’Exposition sur la « musique dégénérée » organisée par la branche la plus radicale des nazis à Düsseldorf en mai 1938, un panneau présentait des photos déformées de Toch et Franz Schreker sous le titre « Deux plumitifs juifs », accompagnées de la logorrhée antisémite habituelle dans l’Allemagne de l’époque. Un prix Pulitzer en 1956 pour sa Troisième Symphonie ne suffira pas à rendre à Toch la place dans le monde de la musique que les années brunes lui avaient arrachée.
Alice Gulipian, soprano
Ensemble Voix Étouffées
Amaury du Closel, direction musicale
Sommaire
Die chinesiche Flöte
- 1. Sehr gemessen
- 2. Die geheimnisvolle Flöte. Sehr ruhig und zart
- 3. Schreitend. marschmässig
- 4. Die Ratte. Allegro molto
- 5. Wie eine litanei
- 6. Das los des Menschen
Tanz Suite
- 7. Anstürmend
- 8. Schwer. Lastend
- 9. Intermezzo. Fliessende achtel
- 10. Gemessen
- 11. Lebhaft
- 12. Mässige viertel
Extraits sonores
Panorama de presse
Inevitably it suggests Mahler’s much grander Song of the Earth, but this simpler, attractive piece is nicely sung by Alice Gulipian with the Ensemble Voix Étouffées, a fine French group devoted to music of composers “stifled” by the Nazis.
George Dorris, Ballet Magazine
Nomenclature
soprano et orchestre