Cette édition du concerto pour piano en mi bémol majeur est basée sur le manuscrit D-11708 (1) de la Bibliothèque nationale de France. Les feuillets du manuscrit comprennent les parties individuelles pour piano et orchestre, mais n’incluent pas de conducteur. Reicha n’est pas cité dans le titre comme compositeur, mais le nom « Reicha » a été ajouté sur la couverture, probablement par un bibliothécaire. Jusqu’à novembre 2018, il manquait à ce manuscrit les 44 dernières mesures de la partie du piano. Suite à des communications avec François-Pierre Goy de la B.N.F. et avec le pianiste et musicologue Henrik Löwenmark, nous reçûmes des copies d’un manuscrit, jusque-là non identifié, de trois pages, ayant la cote MS 3830 (5), qui se révéla consister en les 44 mesures manquantes. Ces feuillets sont maintenant insérés dans le manuscrit D-11708 (1) et numérotés comme les pages 33 à 35.
Les ouvrages de référence proposent une date de composition pour ce concerto autour de 1804. L’œuvre ne possède ni la largeur ni les contrastes dramatiques des trois 3 Grandes Sonates, datant de 1803 à 1805, mais son style ressemble à certains mouvements des symphonies composées entre 1802 et 1808. C’est à notre connaissance le seul concerto pour piano que Reicha ait écrit.
Ce concerto est marqué par l’omniprésence de structures rythmiques à trois temps. Les deux premiers mouvements incluent de longs passages en triolets et le finale est en 68, rythme qui se divise en deux groupes de trois. Quant à l’organisation des thèmes, le premier mouvement est loin d’être traditionnel. Le piano entre à la mesure 64 avec un tout nouveau thème, en trois parties, d’une durée de 29 mesures, dans la tonalité principale de mi bémol majeur. Cependant, on est réticent à désigner ce passage comme le thème principal, car il ne revient qu’une seule fois par la suite, encore dans cette tonalité. Si on voulait parler d’un thème principal dans ce mouvement, on choisirait plutôt le motif qui apparaît deux fois dans l’introduction orchestrale, la première fois à la mesure 17 en sol mineur, puis huit mesures plus loin en mi bémol majeur. Le piano reprend enfin ce thème à la mesure 98, d’abord en do mineur, puis en sol mineur, suivi de fa majeur et finalement en sol majeur. Juste avant la fin du mouvement, on entend une version brève de ce thème jouée par les vents en mi bémol majeur. Selon cette analyse, nous avons donc un thème principal que le soliste ne joue jamais dans la tonalité principale !
Le deuxième mouvement, l’Adagio, commence par deux accords de l’orchestre, joués forte, comme une grande déclaration. Le piano reprend ces accords à son entrée, et les suit de séquences chromatiques en triples croches – un contraste qui sert peut-être à démontrer les qualités de l’instrument. Il semble que Reicha aime terminer certains mouvements, comme ici, par une séquence de figures arpégées. On peut le comparer avec le deuxième mouvement de sa Grande Sonate en ut.
Le finale a le caractère d’une danse, avec des répétitions consécutives d’un même motif, pour créer un effet humoristique. Mais cette danse contient aussi des dissonances intéressantes : trois fois, à une pédale de mi bémol, se heurtent des accords contenant ré bécarre suivi de mi bécarre. L’esprit enjoué de ce mouvement remonte aux finales des trois sonates pour piano opus 46, composées au milieu des années 1790.
Nomenclature
piano, 1 flûte, 2 hautbois, 2 cors, violons 1, violons 2, altos, violoncelles, contrebasses