Cette édition de l’œuvre intitulée Mesure composée, écrite probablement au milieu des années 1790, se fonde sur les manuscrits Ms 12079 et 2496 de la Bibliothèque nationale de France. Le second manuscrit correspond en fait à un recueil intitulé Practische Beispiele [Exemples pratiques] et composé de 24 morceaux pour piano avec texte explicatif. Mesure composée en est le no 3.
Cette œuvre fut écrite à une période où Reicha expérimentait de nouvelles idées de composition. Dans Practische Beispiele, on trouve par exemple une fantaisie qui n’utilise que les trois notes de l’accord parfait de mi majeur ; une pièce écrite sur trois portées, chacune ayant une indication de mesure différente ; ou encore deux morceaux, les nos 6 et 12, dans lesquels douze des touches noires doivent être accordées un demi-ton plus bas afin de permettre la répétition rapide d’une même note ou de faire des superpositions de notes identiques. Dans le no 12, la portée inférieure est écrite en fa majeur et la portée supérieure contenant les notes modifiées a une armature de cinq dièses, suggérant si majeur ou sol dièse mineur, mais produisant seulement, en réalité, les notes de la gamme de do majeur.
Mesure composée fait partie de ces expériences. L’œuvre est entièrement écrite à 5/8, métrique dont il existe très peu d’exemples chez les autres compositeurs de l’époque. Chez Reicha pourtant, on la trouve aussi notamment dans la troisième fantaisie d’Harmonie pour piano, dans le finale du quatuor à cordes dit Quatuor scientifique, ou encore dans la 20e des 36 Fugues. Dans la préface de cette œuvre, Reicha explique qu’une base métrique de 5 est tout à fait normale dans la musique folklorique. Conscient que ce rythme ne serait pas familier à la plupart des pianistes, il ajoute une page explicative dans le manuscrit Ms 12079, réécrivant les quatre premières mesures de Mesure composée comme huit mesures en paires de 3/8 + 2/8. Dans son commentaire sur l’œuvre Reicha va plus loin encore, défendant avec passion la nouvelle métrique :
« La mesure à 5/8, ou encore l’indication plus commode de mesure composée 3/8 + 2/8, fait aussi bien partie de nos sensations au même titre que les mesures à 2/4, 3/4 ou 6/8. Elle est tout autant capable que les autres mesures de description et de peinture des affects que seule la musique peut exprimer. Mais comme elle est peu usitée, elle nous est naturellement plus étrangère ; on doit donc se familiariser avec elle ; et si l’on veut l’apprécier, il faut apprendre à la connaître, et ne pas utiliser contre elle le fait qu’elle nous soit inconnue. »
Et le compositeur de poursuivre :
« Mais qu’on ne pense pas que composer avec la mesure à 5/8 m’ait demandé plus d’efforts qu’avec les mesures conventionnelles ; je m’y suis habitué en très peu de temps. Et mes essais quotidiens m’ont également convaincu qu’il en coûterait peu pour généraliser l’usage de cette mesure, n’était l’existence de préjugés écrasants. »
Panorama de presse
II existe plus de cent œuvres gravées de la composition de Reicha sans compter un grand nombre d’autres, encore manuscrites, et parmi lesquelles plusieurs sont pour l’art de la plus haute importance.
Hector Berlioz, Journal des Débats, 3 juillet 1836